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Bons baisers de Pontos et Thalassa
(à propos de la série Rencontres de Guillaume Chaplot)

« Le spectacle de la mer fait toujours une impression profonde,
elle est l’image de cet infini qui attire sans cesse la pensée,
et dans laquelle sans cesse elle va se perdre »
Germaine de Staël


D'un point de vue symbolique, la série Rencontres de Guillaume Chaplot vise le lien, l'union, la réunion, les retrouvailles, tout autant que la coïncidence sans doute — le hasard, la conjoncture, l'occurrence, ne sont jamais loin de la rencontre.

D'un point de vue purement physique, Rencontres se résume pour le moment à deux photographies tirées sur du papier peint (d'autres, jusqu'à six de plus, sont à venir), collées au mur, face à la mer. Lesdites images, prises aux Sables-d'Olonne, opèrent une répétition et un retournement du sujet — le retournement physique de l'image est une transmutation chère à Guillaume Chaplot —, première constatation. Elles impliquent également un rapprochement, celui de l'Atlantique et de la Méditerranée, comme si Guillaume voulait que cet étroit couloir évoque le détroit de Gibraltar.

D'un point de vue étymologique, détour parfois utile, si le verbe « rencontrer » est seul en français, il ne l'est pas en grec ancien, lequel possède bien apantò, « rencontrer », certes, mais aussi tugkàno, « rencontrer par hasard ». Pourquoi aller chercher le grec ancien ? Précisémentpour tugkàno, exclusivement pour tugkàno, pour son ouverture étymologique, pour la beauté allégorique que ce verbe opère, pour sa poésie, pour la floraison que tugkàno offre car,« rencontrer par hasard », n'est pas peu. « Rencontrer par hasard » implique un être là, une ouverture aux sources profondes, embrasure, Grande Ouverture, un savoir être devant le(s) vague(s) comme une proue prend le vent, de pleine face, un vouloir et un savoir accueillir — propre de toute ville portuaire (et non seulement portuaire dirons-nous, jusqu'au dernier des villages reclus ajouterions-nous).

Rencontresest une série remuante, agitée, divergente, qui décline le tumulte du monde, le trouble de mondes opposés, renversés, qui ne se rencontrent plus (quiconque interprètera comme il ou elle le souhaite), certes, certes... Mais Rencontresest également une série unifiante, pondérée, convergente, qui sous-tend un humanisme responsable, détourné de tout relent utopiste, la seule fragrance reconnue sera celle des embruns de toutes les mers et océans, une odeur soufrée, celle d'un air iodé, celui du grand large et des algues.

Gustave Le Gray avait en son temps opté pour la technique des ciels rapportés pour tirer ses photographies de marines et leur donner une voûte de nuages, un firmament de coton ; Guillaume Chaplot choisit, lui, de dédoubler la mer dans le ciel, de répéter l'océan en haut de telle sorte que ses photographies, devenues architectures symétriques, éruptions aquatiques, s'apparentent à de grands baisers marins, comme si les lèvres de Pontos venaient rejoindre celles de Thalassa.

Tel est bien le dessein chaplotien avec Rencontres, à savoir, représenter un double mouvement contraire, celui d'une poussée ascendante qui vient s'opposer à une inclinaison descendante afin de traduire un aller vers (l'autre), une rencontre, une rencontre par hasard, tugkàno. Venue inattendue, levée impromptue, mélange d'écume, baiser iodé, explosion fluide, action liquide, celle qui donne la vie. Mer, soleil, lumière, naissance, co-naissance. Chacune des photographies de la série Rencontres représente un touché physique d'eau à haut, des images maculées, caresses métaphysiques qui rappellent qu'il faut se lever, s'élever, comme ces vagues, comme le Zarathoustra que fait parler Nietzsche : « Car la mer veut être baisée et aspirée par le soleil ; elle veut devenir air et hauteur et sentier de lumière, et lumière elle-même ! En vérité, pareil au soleil, j'aime la vie et toutes les mers profondes.
Et ceci est pour moi la connaissance : tout ce qui est profond doit monter – à ma hauteur ! ».

« Sur une grande route, il n'est pas rare de voir une vague,
une vague toute seule, une vague à part de l'océan.
Elle n'a aucune utilité, ne constitue pas un jeu.
C'est un cas de spontanéité magique 
».

Henri Michaux


David Brunel
Docteur en philosophie esthétique,
écrivain, photographe, conférencie.

 


Henri Michaux, Au pays de la Magie in Ailleurs, éd. Poésie/Gallimard.