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Trompe-l'œil et détrompe-l'œil
(
à propos de l'installation Après La Grande Vague de Guillaume Chaplot)


Il était une fois, La Grande Vague, photographie de Gustave Le Gray, prise en avril 1857 dans le port de Sète. Elle représente la mer Méditerranée et une partie du brise-lames, avec en premier plan, cette belle vague déferlante et en second plan, le béton et les pierres du brise-lames, et encore plus loin, derrière, l'horizon, la luminosité du ciel et les nuages. Tellement beau! Tellement simple! Hé bien, non, pas si simple que ça, puisque le tirage historique est en réalité un photomontage résultant de l'impression sur papier albuminé de deux négatifs, un pour le ciel et un pour le reste de la photo.

Il était une autre fois, un photographe nommé Guillaume Chaplot. Plus d'un siècle auparavant, son illustre prédécesseur avait déclaré : "J'émets le vœu que la photographie au lieu de tomber dans le domaine de l'industrie, du commerce, rentre dans celui de l'art." En 2024, Chaplot souscrit pleinement à ce souhait. Ce dernier est un véritable photographe qui a le don de capter l'instant.
Il sait voir ce que d'autres ne voient pas, il a l'œil, comme on dit. Mais il est également un artiste. L'Amar Café à Sète est pour lui l'endroit idéal pour exposer. C'est ici que déferle l'écume des vagues, c'est d'ici qu'on voit le brise-lames. Il prend l'occasion qui se présente à bras ouverts, en fait il ne la prend pas, il la crée, il l'invente. Il décide alors de se rendre sur le brise-lames pour photographier de l'autre côté, vers le large, côté pleine mer, d'où le titre de l'exposition Après La Grande Vague.

La photographie de 1857 portait déjà en elle toutes les ambiguïtés, toutes les équivoques de ce qu'on appelle le réalisme. Elle a l'air d'un instantané, mais elle n'en est pas un. Elle a l'air d'une image de la nature, sans artifice, directe, telle quelle, prise sur le vif, mais elle est le produit d'une fabrication technique.

En occupant les murs de L'Amar Café, Chaplot se donne la possibilité de faire de son travail de photographe une installation dans l'espace de la salle du restaurant. Il agit là en artiste et même, pourrait-on dire, en décorateur.

Il emploie des films miroirs. Il place des images à l'envers afin que le béton du brise-lames rejoigne celui du restaurant.

Tout cela, il le fait sans lourdeur prétentieuse, avec le sens de la poésie qui le caractérise. Que les personnes qui sont en train de manger les plats préparés en cuisine puissent ressentir la complexe simplicité de l'installation est une idée qui ne peut que me plaire.

Les artistes jouent aux jeux de trompe-l'œil et de détrompe-l'œil. Ils sont là pour nous aider à ne pas oublier où se cachent la vraie vérité, la réelle réalité.

Dans le cas présent, la vraie vérité, la réelle réalité s'appellent la mer. Les images photographiques, les miroirs en captent des apparences, des dehors, des reflets, des surfaces. L'obscure profondeur, dont originellement nous sommes pourtant issus, nous échappe à tout jamais. Notre corps a beau être fait d'eau à soixante-cinq pour cent, en ce qui concerne le mystère des fonds aquatiques, le moindre poisson en sait plus que nous.

Pierre Tilman
Poète, Plasticien